Cette série de cartes est l’aboutissement d’un très long travail de recherche de données sur la démographie actuelle de la Palestine, dans ses frontières « historiques » du mandat. Point de mur ici, ou de Cisjordanie, ou de Jérusalem Est et Ouest ou de Gaza. Juste le Golan illégalement occupé, qui ne faisait pas partie de la Palestine mandataire. Une note sur les données est en fin de publication.
L’idée était d’avoir non seulement des chiffres, mais également une représentation spatiale de la localisation des deux principales populations. Et ici il faut être très critique : subdiviser les groupes humains en deux groupes, laissant peut-être croire à des groupes homogènes, est hautement problématique, ou du moins c’est une opération qui demande explications.
Plusieurs points sont à mettre en évidence. En premier lieu, ces deux groupes sont on ne peut plus fragmentés. Concernant les Palestiniens et de manière non exhaustive : entre urbains et ruraux, entre chrétiens et musulmans, entre pratiquants et personnes sécularisées, entre gazaouis, habitants de la Cisjordanie, de Jérusalem et Palestiniens de l’intérieur, entre bourgeoisie et travailleurs… Concernant les Israéliens et de manière non exhaustive : entre croyants et non croyants, entre Séfarades, Ashkénazes, Juifs yéménites ou éthiopiens, orthodoxes et ultraorthodoxes, entre Tel-Aviv – Jérusalem – la « Judée-Samarie » ou le Golan… Rassembler toutes ces catégories et réifier une réalité complexe ne va donc pas sans poser énormément de questions. D’autre part, il y a aussi des limites évidentes comme celle-ci : où classer les druzes, qui sont de culture arabe mais qui pour beaucoup servent dans l’armée israélienne ? Ici ils ont été comptabilisés comme « arabes », mais l’on peut discuter évidemment de ce choix catégoriel.
Or ce choix est aussi celui qui a été fait par les statistiques officielles israéliennes, qui historiquement séparent les « Juifs » et les « non-Juifs ». Cette logique ethnique a été officiellement « validée » puisque le 19 juillet 2018, le Parlement israélien a adopté une loi proclamant Israël comme « État-nation du peuple juif », avec l’hébreu comme seule langue officielle et Jérusalem unifiée comme capitale.
Mais il y a tout de même une logique dans le fait de compartimenter toutes ces populations en deux groupes distincts. C’est que, que vous soyez urbain ou rural, croyant ou non, habitant de Tel-Aviv, d’une colonie, de Jérusalem ou du Golan, que vous soyez de droit ou de gauche, ou bourgeois ou travailleur, le fait que vous soyez Juif vous donne des droits fondamentaux, sociaux, humains et politiques dont vous êtes, à des degrés divers, dépourvus si vous êtes arabes dans les frontières de la Palestine historique.
L’apartheid se décline de manière différente à Gaza, en Cisjordanie, sur le Golan ou à l’intérieur d’Israël, mais apartheid il y a. Beaucoup se focalisent sur la Cisjordanie, Jérusalem et Gaza. C’est souvent oublier que les « Arabes israéliens », ou Palestiniens de l’intérieur, subissent également un régime d’oppression à base ethnique. Pour ne prendre qu’un exemple : des dizaines de villes et villages arabes situés en Israël ont les plus grandes difficultés à mettre à jour leurs plans d’aménagement du territoire. Résultat : ces villes et villages ne peuvent s’étendre et aménager leurs espaces afin de répondre aux besoins de leurs populations. Autre exemple : une foule d’aides sociales sont réservées, en Israël, à celles et ceux qui ont fait l’armée. Or évidemment, les « Arabes israéliens » ne font pas l’armée.
Dès lors quel est l’intérêt de ces représentations cartographiques ? Premièrement sur le nombre : selon beaucoup, le changement de majorité démographique est déjà effectif depuis 2018, ou 2019, ou 2020. Selon mes chiffres, en 2019, il y avait toujours une majorité précaire de Juifs dans l’espace considéré. Aujourd’hui, en 2021, et compte tenu des taux de croissances des deux populations, il est très vraisemblable que la majorité démographique soit Arabe. Le chiffre est à la fois symbolique et important. Symbolique parce que la question de la démocratie ne se réduit évidemment pas à une simple question de majorité numérique. Un État démocratique c’est surtout le respect des droits fondamentaux à la fois des communautés, mais aussi des individus, surtout s’ils sont minoritaires. Israël n’est pas subitement devenu antidémocratique parce qu’il y a un renversement de majorité démographique… Mais ce chiffre est également important parce que l’apartheid devient d’autant plus (si c’est possible…) inacceptable lorsque c’est une minorité qui impose ses lois et sa domination.
Sur la spatialisation des populations : une analyse poussée serait nécessaire. Mais ce que l’on peut constater au premier coup d’œil c’est que la répartition des populations arabes correspond grosso modo toujours aujourd’hui au plan de partage de l’ONU en 1948. Les millions de réfugiés palestiniens manquent dans l’espace côtier notamment. La colonisation intérieure de la Galilée par Israël n’est pas un échec total, mais est à relativiser. Enfin, les cartogrammes montrent également que près de 13 millions de personnes sont concentrées sur un espace très restreint qui correspond grosso modo à un quart de la Suisse. Tel-Aviv et sa banlieue, Gaza, Jérusalem sont les trois pôles dominants.
Les données sont issues du Central Bureau of Statistics d’Israël pour les villes et villages situés sur le territoire internationalement reconnu d’Israël (à l’exception des données sur Jérusalem, qui sont issues du Jerusalem Institute pour 2021). Les dernières données officielles pour Israël datent de 2019.
Pour Gaza et la Cisjordanie, ce sont les estimations pour 2019, le dernier recensement ayant eu lieu en 2017.
Pour les colonies illégales situées en Cisjordanie, ce sont des données palestiniennes qui datent de 2015, et qui ont été comparée avec les données de la Paix maintenant. Écart de 10 000 personnes entre les deux jeux de données, mais les estimations sont ici fiables.